Des signes dans l'orage
Mon projet se focalise sur l'étude des phénomènes naturels submersifs et leur impact sur les comportements humains, dans un contexte où ces événements deviennent de plus en plus fréquents en raison du changement climatique.
J'ai étudié divers groupes d’habitants et leurs territoires, notamment des Guadeloupéens, un chasseur de tempêtes de l'Est de la France, une ingénieure en gestion des risques à Grenoble, ou encore un gestionnaire de barrage hydraulique à Chambéry. L'objectif général est de réduire les dommages humains et matériels lors de ces événements sur leur territoire respectif. J'ai examiné les savoirs empiriques et académiques liés à ces événements et à leurs effets bénéfiques. Il en est ressorti que les personnes sensiblement ancrées dans leur territoire sont plus attentives à leur environnement et développent ces savoirs empiriques. L'important n'est pas tant la véracité de ces savoirs que leur capacité à développer une forme de résilience par une attention accrue à l'environnement, essentielle pour agir de manière proactive face à ces événements. Un habitant attentif à son territoire le connaîtra mieux que quiconque, de manière intime et unique. Dans cette perspective d'enracinement territorial, j'ai décidé de poursuivre mes recherches en adoptant une approche située, en me concentrant sur le quartier des Batignoles au Mans, une zone fréquemment inondée que je connais bien. Mon objectif est de concevoir des artefacts de design qui encouragent une attention proactive et sensible à l'environnement.
Comment le design peut-il initier l’habitant à développer une attention proactive aux changements de son territoire, comme avec les phénomènes naturels submersifs?
Ma question de recherche a évolué grâce aux découvertes et aux retours perçus au cours de l'année, ce qui a nourri de nouvelles intuitions. Pour cette recherche, j'ai voulu utiliser tous les savoirs accumulés comme base pour définir des axes d'exploration. Les verbatims et les ressentis issus des interviews de mon mémoire constituent les fondements de ma démarche en design.
Ma méthodologie dans ce macro-projet consiste à effectuer des allers-retours entre les personnes étudiées dans mon mémoire, la formalisation et la recherche en design, ainsi que l'observation de terrain. Ma recherche en design pure se concentre sur des explorations artistiques pour traduire mes observations, ainsi que sur des tests de design plus techniques, en commençant par des expérimentations avec les matériaux et objets disponibles, pour aboutir à des formalisations plus abouties. L'objectif dans le choix de ces types d'artefacts est de maintenir un imaginaire commun des objets sélectionnés tout en modifiant leur fonctionnement. Il s'agit plutôt de démontrer qu'une attention différente et le déplacement de certains curseurs peuvent apporter des perspectives bénéfiques dans un contexte commun.
T’as senti l’orage ?
Mon premier axe de recherche s'inspire des techniques des chasseurs d'orage qui utilisent la radio pour détecter les interférences électriques pendant les orages. Je souhaite réutiliser ce savoir-faire local, principalement utilisé par les chasseurs, en adaptant le principe technique et en le réorientant vers une détection plus sensible. Je propose de mettre l'accent sur le sens du toucher pour percevoir ces variations d'ondes et explorer de nouvelles façons de visualiser les changements sonores en lien avec l'orage. Dans un contexte plus intime, chez soi, nous n'écoutons plus que des indications de protocoles à suivre dicté, mais nous porterons une attention à capter des indications directes et locales avec le phénomène. Cette première exploration permettrait hypothétiquement de passer d’un positionnement attentiste d’indication par d’autres, à un état d’attention à des signaux directs vis-à-vis de son milieu, ouverts d'interprétation personnelle.
Amarrons l’auto
Cet artefact découle de réflexions sur les inondations et la gestion des risques, étudiées par Julia Fézard dans son domaine professionnel. Les interrogations portent sur les voitures qui, dès 30 cm d'eau, peuvent flotter et être emportées par le courant, causant des dommages humains et matériels, ainsi que bloquant les voies de passage. Des récits vidéo dans le cadre de ma recherche ont également révélé l'impuissance ressentie par les personnes face à leurs véhicules dérivant seuls.
En m'inspirant des anneaux d’amarrage utilisés pour les navires et en les déplaçant dans un contexte urbain habité, cet objet, dont l'utilité est connue de tous, serait simple d’appropriation. L'objectif est de montrer qu'à l'avenir, les voitures seront de plus en plus exposées à des zones inondables dans les milieux urbains habités. Cet artefact représente un premier pas vers une réflexion sur une prévention individuelle à l'échelle collective, incitant à amarrer les véhicules.
Bien que cet objet puisse sembler simple dans son changement de contexte, il permet néanmoins de faire évoluer les attitudes face aux biens matériels dans un environnement changeant.
Le vent se lève
Cette dernière représentation découle d'une observation générale de l'attention portée aux mouvements des éléments naturels, en particulier au rythme du vent. De plus, ma recherche a mis en lumière un constat fait par Christophe Asselin concernant les bulletins météo et les alertes, qui peuvent parfois être des "faux positifs".En effet, les phénomènes météorologiques sont imprévisibles et changeants. Ainsi, les indications pour une zone géographique, même restreinte, ne tiennent pas toujours compte des variations locales spécifiques.
Cherchant des moyens matériels et formels pour mesurer l'intensité du vent de manière tangible et inciter à observer les variations du vent par la fenêtre, j'ai repris le principe des drapeaux, objet commun, pour fournir des indications locales. L'objectif, dans cette intention, est également d'attirer l'attention des habitants de leur territoire, les incitant à étudier et développer des savoirs empiriques à travers des objets tangibles installés dans un espace commun.
Ces trois hypothèses de recherche amènent à reconsidérer la manière dont les habitants portent attention à leur environnement et à leur territoire. La création d'artefacts incitant à focaliser l'attention sur des points clé de leur territoire pourrait être bénéfique pour la gestion et la préparation aux changements ponctuels et potentiellement brutaux de leur environnement.
Ma volonté de mener cette démarche de recherche sur mon territoire me permet de mettre à profit mes compétences de designer ainsi que mon expérience d'habitante pour le bénéfice des autres résidents de la même région. Un design territorial, centré sur ce type de thématique, semble plus pertinent que de généraliser à partir de phénomènes naturels, bien qu'universels, ne prennent pas en compte les spécificités locales. Spécialisée en design de produits, j'ai réalisé au cours de ma recherche que les outils numériques appauvrissent notre relation à l'environnement. Aujourd'hui, nous nous fions davantage aux prévisions météorologiques sur nos téléphones ou à des données chiffrées diffusées à grande échelle. Pourtant, ces phénomènes sont des éléments à part entière dont le rapport sensible doit être maintenu pour espérer cohabiter harmonieusement sur un territoire commun. Ainsi, j'ai choisi de mettre de côté, autant que possible, les aspects numériques et quantifiables dans cette démarche de recherche.
Il pourrait avoir des effets bénéfiques à long terme de rendre l’habitant plus attentif et proactif vis-à-vis de son environnement.