Ma recherche préliminaire pour ce projet a révélé le besoin de recréer des interactions sociales entre les élèves pour développer les compétences psychosociales (CPS), dont l’empathie, à travers une coopération dialogique. En effet, selon le rapport de Grenelle de 2021, il existe un déficit important de CPS en France. J’ai ensuite concentré ma recherche sur le développement de l’empathie chez les enfants de 6 à 8 ans (cycle 2). Pour mener à bien cette recherche, j’ai collaboré avec Justine Nardo, institutrice de CE2 à l’école Michel-Berthelot à Saint-Pourçain. De cette recherche, j’ai conclu que l’empathie peut être développée de manière formelle et informelle. Il est crucial de varier les activités pour maintenir la motivation des élèves dans l’apprentissage. Il est également important d'intégrer des moments individuels et collectifs pour permettre de garder une trace des élèves, tout en leur offrant des opportunités de développer des compétences individuelles grâce au collectif. Nous avons continué notre collaboration pour ce projet, travaillant ensemble pour créer de nouveaux outils répondant aux besoins des élèves.

Mon travail de recherche pratique, à présent, est de s’interroger sur comment créer de l’interaction sociale pour favoriser la compréhension de l’autre et de ses émotions ? Et comment permettre à l’enfant de se mettre à la place d’autrui ?

Pour mener à bien mon projet, je me suis appuyée sur diverses références et spécialistes. Tout d’abord Serge Tisseron, docteur en psychologie, souligne que comprendre ses propres émotions et celles des autres est la base de l'empathie. Daniel Siegel, expert du cerveau de l'enfant, propose le schéma de l'empathie comme "un diamant à 5 facettes" et enfin le référentiel de CPS de Santé Public France. Pour mener à bien mes quatre expérimentations, j'ai établi un fil conducteur où chaque expérimentation répond à une facette du diamant de l'empathie ou à des CPS. À travers ces quatre expérimentations, nous avons donc exploré les différentes étapes du développement de l'empathie chez l'enfant.

Le Journal Émotionnel Numérique est un outil éducatif interactif conçu pour aider les enfants du cycle 2 à identifier, comprendre et réguler leurs émotions. En intégrant diverses fonctionnalités, il encourage une réflexion approfondie sur les causes des émotions et favorise une meilleure gestion émotionnelle. Selon Serge Tisseron, comprendre ses émotions et celles des autres est essentiel pour développer l'empathie.

Pour explorer en amont l’usage, j'ai organisé un atelier en deux phases. Les participants ont d'abord identifié l'émotion la plus difficile à réguler, puis ont partagé les stratégies qu'ils utilisent pour gérer leurs émotions, telles que des exercices de respiration et des activités physiques. Cet atelier a mis en lumière des défis émotionnels spécifiques et des méthodes utilisées pour les surmonter, soulignant l'importance de développer des outils adaptés.

Le journal propose des techniques de respiration comme le "Volcan de la Respiration" et des exercices en 8 pour aider les enfants à se calmer et à se recentrer. Une bibliothèque de sons de méditation favorise la relaxation et la pleine conscience, améliorant ainsi le bien-être mental. Pour éviter les implications négatives d'une sauvegarde trop détaillée des émotions, le journal enregistre les émotions de manière simplifiée, en ne conservant que le pourcentage des émotions ressenties. Cela permet un suivi précis et constant des émotions, facilite la communication entre l'école et la famille, et encourage l'expression émotionnelle.

Le Baromètre des émotions est un outil dérivé du journal émotionnel, conçu pour refléter l'atmosphère émotionnelle de la classe en retranscrivant les émotions de chaque élève. Il permet aux élèves d'exprimer leurs sentiments et de comprendre ceux de leurs camarades, favorisant ainsi l'empathie (prise de perspective) et les liens sociaux.

Pour tester l'efficacité du Baromètre des Émotions, j'ai testé différentes formes afin de chercher le bon moyen et le support le plus efficace à mettre en place et qui déclencherait au mieux des interactions sociales entre les élèves. Par exemple, le baromètre au fil a révélé et permis que les enfants ne soient pas définis par une seule émotion, mais par un éventail varié d'émotions au cours de la journée. Cela les aide à relativiser leurs expériences et à ne pas se sentir catalogués par une seule émotion dominante.

L'utilisation du numérique pour le baromètre des émotions présente plusieurs avantages. Il rend l'outil accessible et engageant pour tous les élèves, indépendamment de leurs compétences en lecture ou en écriture. Les interfaces numériques captent l'attention des élèves et les motivent à participer activement. De plus, le numérique permet de suivre les données en temps réel. Le Baromètre des Émotions peut ainsi recueillir les entrées des élèves et générer instantanément une représentation de l'atmosphère émotionnelle de la classe. Cela permet aux enseignants de réagir de manière proactive et adaptée aux besoins émotionnels des élèves, contribuant à un climat de classe plus empathique.

L'outil Souvenirs en Partage aide les élèves à explorer et partager leurs émotions à travers des souvenirs. Ce processus commence par la définition de l'émotion ressentie, utilisant divers outils tels que des formes, des matières et des sons. L'élève peut enrichir la description de son émotion avec des éléments contextuels comme un dessin ou une photographie. Cette méthode permet aux autres élèves d'accéder aux souvenirs offrant une perspective unique sur l'expérience émotionnelle de leurs camarades. En transmettant des émotions à travers des souvenirs tangibles et des éléments visuels ou auditifs, les élèves développent des compétences essentielles en communication émotionnelle et apprennent à mieux comprendre et exprimer leurs sentiments. L'outil vise à favoriser la communication empathique et à développer des liens sociaux en encourageant l'empathie cognitive et la résonance émotionnelle à travers la transmission de souvenirs personnels.

Pour affiner ma recherche et le concept, une map a été utilisée pour déterminer quelles émotions évoquent chaque forme et matière. Les sensations ressenties, évoquant des émotions passées, sont uniques à chaque individu. Une connotation polysémique fait référence à la capacité de la texture, de la forme ou du son d'évoquer plusieurs significations ou émotions différentes selon les personnes. Cette recherche a démontré que chaque personne définit et ressent les émotions différemment, influencée par leur contexte et leur expérience personnelle.

Une fois l'émotion transmise, l'autre élève est invité à ressentir et interpréter cette émotion à travers les éléments choisis, encourageant une immersion dans l’expérience émotionnelle de l'autre et facilitant une compréhension empathique. Ensuite, les élèves échangent et se questionnent sur les souvenirs et les émotions associées, ce qui permet de décomposer et de comprendre ces moments d'émotion. En raison des éléments polysémiques, les enfants vont formuler des hypothèses souvent inexactes sur les souvenirs et les émotions des autres, déclenchant des interactions sociales pour mieux comprendre les souvenirs, les émotions et les expériences vécues. Ce processus favorise l'interaction sociale et la compréhension mutuelle.

Cet outil multisupport est conçu pour encourager les interactions sociales et développer l’empathie après un événement collectif, en permettant aux élèves de se mettre à la place des autres. S'inspirant des jeux du "cadavre exquis" et du "téléphone arabe", ce jeu se joue de manière linéaire avec quatre élèves, chacun jouant un rôle spécifique. Le premier élève exprime son point de vue et ses émotions à voix haute, le deuxième retranscrit ces sentiments par écrit, le troisième interprète les émotions ressenties à partir de cette transcription, et le quatrième partage les émotions qu'il a lui-même ressenties à ce moment-là. 

À la fin, toutes les étapes sont révélées, permettant un échange autour des ressentis et des différences d'interprétation et de perspectives sur l’évènement. Cet outil non seulement délie les interactions sociales, mais développe aussi l'empathie cognitive et la résonance émotionnelle. Les élèves apprennent ainsi à comprendre les perspectives et les émotions des autres. Cette structure permet une exploration progressive et approfondie des émotions, favorisant une meilleure compréhension et une communication empathique. Cet outil vise à créer un espace de dialogue et de réflexion, où chaque élève peut exprimer et explorer ses émotions tout en apprenant à comprendre celles des autres. En déliant les interactions sociales et en encourageant l’empathie, ce jeu contribue à construire un environnement scolaire empathique.

Pour poursuivre ma recherche en design, j'ai testé ces outils avec des enfants et présenté les résultats à l'institutrice Justine pour obtenir son expertise. Des grilles d'évaluation spécifiques ont été mises en place pour chaque outil afin de valider les objectifs et ajuster la recherche en fonction des problématiques identifiées.

 Le journal émotionnel s'est avéré être un premier pas efficace vers la compréhension des émotions d'autrui en aidant les enfants à comprendre et réguler leurs propres émotions, facilitant des discussions ouvertes en classe. Le baromètre des émotions affiche les émotions des élèves, incitant les enfants à découvrir celles de leurs camarades et à offrir leur aide, ce qui enrichit l'interaction sociale et développe des liens. Le jeu Souvenir en Partage montre que les enfants interagissent pour mieux comprendre les émotions des autres en partageant leurs souvenirs, encourageant des questions approfondies et renforçant la compréhension mutuelle et la création de liens sociaux. Lors des tests avec Emo Connect, les débriefings sur les différences de points de vue engendrent des interactions permettant de découvrir que les perceptions peuvent varier, et les rôles assignés aux élèves les invitent à se mettre à la place des autres, enrichissant leur empathie cognitive et leur coopération.

Ma recherche en tant que designer a permis de tester des outils multisupports et des concepts favorisant les interactions sociales entre les enfants, en soutenant la pédagogie de la coopération. En utilisant des jeux de rôle et des souvenirs, les élèves apprennent à se mettre à la place des autres, développant ainsi l’empathie. J'ai ouvert une perspective de développement de l’empathie centrée sur les souvenirs, qu’ils soient collectifs ou individuels. Ces outils ont clarifié les mécanismes de développement de l’empathie étape par étape en proposant des moyens de créer du dialogue.

Mon rôle de designer s’est démarqué dans la création de supports d'échange permettant de susciter des interactions sociales entre les élèves. Ces supports orientent les enfants dans une réflexion sur la compréhension des différents points de vue, une démarche qui ne se crée pas naturellement. En tant que déclencheur dans cette démarche d’empathie, j'ai fourni les outils et les structures nécessaires pour initier et soutenir ces interactions empathiques afin de mettre en lien les enfants et connecter leurs émotions.