Zoepolis (laboratoire de recherche en design qui explore les agencements entre humains et vivant non-humains)
One Health est un concept intégrateur qui vise à optimiser la santé des humains, des animaux et des écosystèmes. Devenu crucial depuis les années 2000, il souligne les liens entre santé et environnement. Selon l'IPBES, plus de 30% des maladies infectieuses émergentes sont liées à l'expansion agricole et à l'urbanisation. Face à ces constats, J’ai concentré ma recherche sur l'impact de l'agriculture sur la santé des sols, élément essentiel pour la vie et la biodiversité. Si aucune action n'est entreprise, 90% des sols pourraient être dégradés d'ici 2050 affectant directement la santé des écosystèmes et des humains. Mon étude met en lumière l'importance de recentrer le design en incluant la médiation, le diagnostic et le soin des sols, contribuant ainsi à une approche One Health plus holistique et durable.
Pour répondre à la problématique, j'ai adopté une démarche de recherche variée comprenant la lecture d'ouvrages spécialisés, des discussions avec des experts des sols comme Camille Chauvin et Lionel Ranjard ainsi que des observations et entretiens avec des agriculteurs pratiquant une agriculture respectueuse des terres. Ces agriculteurs, tels qu'Alexandre et Amélie Desanges-Guilin, m'ont montré comment l'observation des plantes bio indicatrices et certains signes permettent d'évaluer la santé du sol. J'ai constaté la difficulté d'interprétation des résultats scientifiques par des non initiés pour évaluer la santé des sols et l'importance de lire les signes naturels pour agir efficacement. Ainsi, je me suis interrogée sur la façon dont le design peut aider à rendre ces informations accessibles et compréhensibles pour tous, sensibilisant ainsi le public à l'importance des sols. Le design doit se focaliser sur la médiation en créant des connexions et en promouvant le bien-être des individus et des écosystèmes, soutenant ainsi le concept One Health.
Dans cette recherche en design, j'ai développé plusieurs axes dont la médiation et le design de la santé, visant à positionner le designer et ses créations comme des outils de médiation entre le sol, la santé environnementale et les humains. La première étape pour retisser ces liens a été de comprendre le sol afin de mieux agir en faveur de la santé holistique et d’attirer l’attention sur cet élément essentiel.
J'ai proposé plusieurs dispositifs permettant de comprendre le sol, de diagnostiquer son état et enfin de le soigner. Ces expérimentations sont basées sur mes observations de terrain, mes entretiens et les problématiques que j'en ai tirées. Je vous en présente ici quelques-unes.
Observer son Sol de plus près :
J'ai constaté que de nombreuses personnes ne connaissent pas bien leur sol car elles ne prennent pas le temps de l'observer, ce qui entraîne un manque de soin et de sensibilité à son égard. Cependant, certaines postures peuvent inciter à focaliser notre attention sur celui-ci. Par exemple, lorsque nous sommes allongés sur le sable ou sur une nappe de pique-nique, notre regard est attiré par la proximité avec le sol.
Pour cette raison, j’ai créé un outil d’observation permettant de reposer le buste et d’être proche du sol, afin de l'examiner en détail avec des outils comme des loupes, des brosses et des pelles et ce pendant une période prolongée. Mon hypothèse est qu'en facilitant une observation de près, les personnes développeront une meilleure connexion avec le sol et une appréciation plus précise de sa composition. Ce dispositif encourage une interaction directe et attentive avec le sol, renforçant ainsi la compréhension de ses composants.
Le test du Coton :
Le test du coton, inspiré du test du slip découvert lors de mes entretiens avec Camille Chauvin, consiste à enterrer un morceau de tissu en coton blanc dans le sol pendant deux mois à l'aide d'un outil spécialement conçu. Après cette période, le tissu est retiré du sol et examiné : plus le tissu est dégradé, plus l’activité microbienne est intense. Ce test rend visible l'invisible en mettant en lumière l'activité des microorganismes du sol, renforçant ainsi la connexion entre les humains et leur environnement pour promouvoir une santé holistique.
L'herbier des Plantes Bioindicatrices :
Lors de mes observations et entretiens avec les vignerons du Domaine des Ussels, j'ai découvert qu’ils récoltent annuellement des plantes bio indicatrices sur leurs parcelles. Cette méthode permet d'évaluer la santé du sol en observant des paramètres comme le pH, la teneur en phosphore, le drainage et le compactage du sol. Les plantes récoltées sont séchées et intégrées dans un herbier avec un poster de suivi où sont notés les indicateurs observés. Ce dispositif offre un diagnostic instantané de la santé du sol et permet un suivi à long terme pour ajuster les pratiques de gestion du sol et améliorer sa santé globale.
Test de la Couleur du Sol :
Le test de la couleur du sol vise à aider les individus à comprendre l'évolution de leur terre à travers son aspect visuel. En utilisant un nuancier basé sur la charte de Munsell, les participants observent la teinte du sol. Les couleurs foncées indiquent généralement une forte teneur en matière organique tandis que les couleurs claires peuvent signaler une faible fertilité ou un sol ayant subi du lessivage. En archivant les résultats sur un poster et en répétant la mesure mensuellement, les utilisateurs peuvent suivre l'évolution de leur sol sur une année, ce qui encourage une gestion durable en fonction des changements de couleur observés.
Test de l'Odeur du Sol :
Le test de l'Odeur du Sol offre une approche sensorielle du diagnostic. En humant un échantillon de sol humide dans des pots spécialement conçus, les participants peuvent détecter des signes de santé du sol. Une odeur de champignon, fraîche et terreuse indique souvent un sol sain tandis qu'une odeur désagréable peut signaler des problèmes comme la compaction ou la décomposition anaérobie. Ce test encourage une connexion sensorielle directe avec le sol, renforçant ainsi l'appréciation et l'engagement envers la gestion durable des sols pour favoriser une santé environnementale holistique.
Le Kit des Graines qui soignent les Sols :
Le kit de graines de soin vise à régénérer et soigner le sol en introduisant des plantes adaptées aux problématiques du sol, comme la moutarde pour décompacter les sols. Ce dispositif encourage une approche naturelle de soin en utilisant les propriétés uniques de chaque plante.
La Couverture de Survie des Sols :
La couverture de survie des sols utilise des poches de toile de jute contenant des graines sélectionnées, telles que les lentilles et le cresson, capables de pousser rapidement pour protéger et restaurer les sols dégradés. Cette méthode d'urgence contre l'érosion maintient le sol et crée une couverture végétale afin d'améliorer la santé globale du sol avant d'offrir des interventions plus durables.
Ces expérimentations illustrent l'importance des pratiques de soin du sol pour maintenir sa santé et contribuent à établir des relations durables entre les humains et leur environnement, soutenant ainsi une approche holistique de la santé environnementale.
Les expérimentations présentées dans cette étude renforcent les liens entre l'homme, la biodiversité, les animaux et le sol. Agissant comme des médiateurs, ces approches sensibilisent et promeuvent la notion de One Health. Comprendre, diagnostiquer et soigner les sols favorise la régénération des écosystèmes vitaux et contribue à maintenir une santé globale équilibrée. Cet engagement envers la santé du sol souligne l'importance des pratiques agricoles durables et d'une gestion environnementale responsable pour assurer un avenir durable aux générations futures.
Toutes ces approches permettent de tisser des liens profonds entre la santé des sols, la santé environnementale et celle des hommes. Elles introduisent de nouvelles méthodes de diagnostic et de soins pour la santé des sols, enrichissant ainsi le domaine avec des approches pratiques et scientifiques. En développant des outils, cette recherche permet de rendre visible l'invisible en explorant la biodiversité et les processus souterrains souvent négligés, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives sur la compréhension et la gestion des écosystèmes terrestres.
Cette exploration m'a guidé vers un déplacement de ma pratique du monde anthropique vers l'échelle du sol, révélant de nouveaux imaginaires liés aux agriculteurs, à leurs pratiques, aux êtres vivants, aux micro-organismes ainsi qu'à certains aspects comme la texture, la couleur et l'odeur, éléments impalpables mais cruciaux pour la vie des écosystèmes.
Cette transition vers le désanthropocentrage souligne la complexité des enjeux du design pour le vivant et met l'accent sur des petits détails que racontent le terrain, interrogeant les cycles temporels et ouvrant des pratiques de design intégrées au renouvellement des saisons, à l’échelle du grand, du petit et de l'invisible. Quels imaginaires ces objets peuvent-ils susciter chez les agriculteurs ? Quelles nouvelles questions posent-ils pour le design ?
Il est essentiel de reconnaître les limites du design : peut-il vraiment tout pour les sols ? Le design du non-faire ou du renoncement est-il une mesure nécessaire ? Le design ne peut pas remplacer les pratiques agricoles ; il peut plutôt les accompagner vers de nouvelles approches, jouant un rôle dans la médiation et l'accompagnement des pratiques de soin.
Dans cette recherche, nous nous sommes concentrés sur les sols, mais le design peut également explorer d'autres dimensions, telles que celle de l'eau, révélant ainsi un potentiel d'intervention multifacette pour la régénération et la durabilité des écosystèmes.