Cartographie d’écologie relationnel, une attention des liens portée sur les effets d’un dispositif
Actualité et génèse de la recherche
Pour pouvoir se mobiliser dans les initiatives écologiques, la fracture relationnelle s’annonce comme un obstacle à cette entreprise d’envergure. Les frontières systémiques entretenues par le capitalocène au moyen de la fragmentation des liens d’interdépendance ; pourtant constitutif de notre monde, est là le problème sur lequel cette recherche propose de travailler. Le lien, la relation est bien le facteur majeur de la réussite d’entreprise aussi grande que celle à laquelle nous faisons face : maintenir l’habitabilité du monde dans les défis écologiques et sociaux. Ici débute la recherche que j’ai mené en m’attelant à questionner : Comment faire l’expérience de la composition avec l’altérité au travers d’un faire refuge ?
Le refuge comme concept régénérant est bien ce dont notre monde a besoin. Bruno Latour propose, à travers son travail de la description de nos dépendances, de prendre conscience de nos liens. Cette recherche s’appuie sur son travail et propose d’aller plus loin pour prendre soin de nos liens. La capacité à faire refuge, c’est-à-dire, la disposition à prendre soin, à protéger, ce qui nous lient aux autres dans l’encouragement d’un faire ensemble pour faire sens en commun. Le faire refuge permet aux individus de se régénérer pour en ressortir avec des relations, une expérience de la composition avec l’altérité qui seront des soutiens face aux défis préalablement cités.
Ainsi, à l’issue de cette recherche, premièrement littéraire puis pragmatique par le terrain, je soutiens l’hypothèse qu’il est nécessaire d’encourager la porosité en réponse à cette fragmentation épidémique.
La frontière ou plutôt l’absence de porosité dans les dispositifs, les artefacts qui nous entourent entrave l’établissement d’un faire refuge. Cela me conduit à questionner la porosité, placé au cœur du processus de design.
Expérimentation de la fragmentation
Cette recherche débute par le prototypage de dispositifs qui visent à modifier la perception de l’altérité en la fragmentant. L’ambition de cette approche est d’encourager l’établissement d’une nouvelle manière de voir l’individu par l’usage d’un dispositif qui ne donne à voir qu’une part de l’altérité, une part dont l’on peut se saisir personnellement. Une fois identifié ou reconnu vient une phase de révélation, le moment de la recomposition ou la part préalablement fragmenté se recontextualise dans un individu entier. Plus tout à fait inconnu, l’individu reconnu dépasse sa condition atomiste au profit de potentielle nouvelle considération relationnelle.
La lecture d’un extrait de l’ouvrage Participer : essai sur les formes démocratiques de la participation de la philosophe Joëlle Zask sur les groupes assemblés et les groupes constitués, me fait prendre conscience de l’orientation que prend cette recherche par le design. Je prends en compte que la reconnaissance de l’altérité au travers d’artéfacts qui compose l’individu se rapproche plus de la pratique d’un clan, d’une secte ou d’une famille cherchant là une confirmation des membres qui les composent. Ce dispositif ne répondant pas à l’ambition du faire refuge en devenant sélectif ou catégorisant, alors le groupe assemblé se présente comme sujet d’évolution de cette recherche. Plus particulièrement, sur le que constitue un groupe assemblé ?
Traduction plastique des concepts philosophique
Pour se saisir de cette hypothèse, j’ai orienté cette recherche dans une dimension plastique. La traduction formelle est pour moi une aide à penser ce concept, une matérialisation de l’intangible pour le rendre visible. La première étape fut de permettre de visualiser les contacts, la dynamique, les mouvements ou l’immobilité que peuvent provoquer les dispositifs imaginés dans un contexte de projet. Ainsi, la première expérimentation traduit un groupe d’individu inscrit dans un dispositif. Les différentes modalités de ce dispositif créent des organisations différentes entre les individus. L’isolation, le regroupement, le contact, l’influence, la coopération. L’ébauche de cet objet à penser met en lumière ce dont je n’ai pas pris en compte, c’est-à-dire d’où viennent les individus avant le dispositif, comment le dispositif permet la pluralité des individus.
La seconde expérimentation se poursuit par l’addition d’un cadre, il fournit un contexte au dispositif et participe à définir les modalités d’entrée et de sorties de ce dispositif. Pour traduire l’aspect intangible des situations que peuvent produire un dispositif, j’ai choisi de les rendre moins présentes, les matrices d’entrée et de sorties participent à une lecture plus claire et moins matériel par l’utilisation d’un matériau transparent. Aussi, les choix des couleurs et des diamètres multiples sont pensés pour traduire la pluralité des individus sous tous leurs aspects. Les situations d’observation sur le terrain réalisé plus tôt dans l’année et les récents échanges avec un café associatif me conduisent à montrer ces situations au cœur du dispositif comme autant de manières de faire refuge.
Je poursuis cette recherche par l’application d’une situation concrète au dispositif. Ainsi cette troisième expérimentation tend à traduire une part du café associatif ou s’y déroulent diverses activités représentées par les cercles perforés. Ces cercles imaginés comme matériau de collecte pour la construction de situations dans le dispositif, sont fait de papier pour qu’ils puissent être perforés et ainsi montrer la quantité, la position des individus. Cet objet à penser est la formalisation du service de restauration, de l’activité du jeu d’échec et de l’activité karaoké. Elle montre les entrées diverses des individus, la pratique plurielle des activités au travers des liens qu’ils peuvent représenter les uns et les autres. Cependant, l’absence de légende laisse cet objet dans sa dimension plastique, il est alors nécessaire pour permettre la lecture de cet objet.
Dans le quatrième objet à penser, j’explore la manière qu’a le dispositif de nous inviter sans nous obliger. La manière qu’ont les individus de s’accrocher aussi facilement qu’ils peuvent se défaire de leur « cadre ». Cette expérimentation est aussi la formalisation de l’individu indépendant, atomiste qui chemine dans une situation sans contamination des autres individus, elle vient contraster les précédents essais pour préciser la manière de représenter les effets d’un dispositif.
Enfin, le cinquième objet à penser tend à réunir les expérimentations qui jalonnent cette recherche pour traduire les effets d’un dispositif en détaillant 3 phases :
1 - Avant : Comment les individus y sont-ils invités ?
2 - Pendant : Comment le dispositif agis sur les liens entre les individus ? Est-ce que le dispositif met à distance par la fragmentation, ou au contraire favorise-t-il la porosité ?
3 - Après : Comment les personnes qui ont traversé le dispositif s’en trouve changés ? Quels effets ce dispositif dispense ?
Alors pour revenir sur la question de recherche initiale, comment faire l’expérience de la composition avec l’altérité au travers d’un faire refuge ? Cette recherche m'a conduit à déplacer la question sur le, comment ne pas briser pas les liens de relations et les situations de faire refuge en faisant projet ?
Conclusions & contributions
En définitive, c’est par l’emploi des outils du design, que la traduction de ces concepts philosophique des groupes constitués s’avère faire progresser cette recherche.
La traduction plastique offre de visualiser les effets d’un tel concept, il permet au-delà de sa représentation, de poser les questions quant à ses applications. C’est à mon sens la plus-value de cette recherche qui propose de déplacer son regard dans le dessein d’un projet pour le porter sur les effets d’un dispositif de design sur les individus, leurs liens et les relations d’interdépendance.