Partenaire de recherche : Bérénice Gagne, chercheuse à l'Ecole urbaine de Lyon
Le thème de mon mémoire, qui porte sur les infrastructures souterraines urbaines, joue un rôle essentiel au fonctionnement des villes modernes. Ces réseaux incluent des systèmes vitaux comme l'approvisionnement en eau et l'assainissement, ainsi que des espaces tels que les parkings souterrains.
Le projet « L’Écologie des sols urbains » de Bérénice Gagne, chercheuse à l’École urbaine de Lyon, a été une source d'inspiration pour moi. Sa démarche m'a encouragée à explorer les possibilités de réhabilitation des espaces souterrains, notamment les parkings.
Avec la croissance urbaine et la réduction de la dépendance automobile, la réhabilitation des parkings souterrains gagne en pertinence. La population mondiale croissante et les efforts pour minimiser l’empreinte écologique des transports, comme la piétonnisation, nécessitent une réflexion sur le rôle des designers dans ces réhabilitations. Alain Findeli affirme que « la finalité du design est d’améliorer ou au moins de maintenir "l’habitabilité" du monde dans toutes ses dimensions », englobant les aspects physiques, sociaux, culturels, économiques et naturels.
Mon étude, « Réaménager les espaces souterrains désaffectés : le parking », examine comment redéfinir les parkings souterrains tout en explorant de nouvelles relations entre les espaces et les individus, en y intégrant des critères de durabilité et d’habitabilité.
Elle vise à montrer comment, par le design, ces parkings peuvent être réhabilités pour améliorer notre manière d’habiter et de percevoir ces lieux, augmentant ainsi leur valeur utilitaire et esthétique et révélant leur potentiel sous-estimé.
-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Depuis l'année dernière, ma recherche m'a amenée à observer et interviewer dans des espaces souterrains, à découvrir les parkings et à les éprouver de différentes façons lors d'étapes exploratoires privilégiants l'observation directe et l'interaction avec l'espace. J'ai intégré des expériences sensorielles visuelles et réalisé des photomontages pour illustrer le dynamisme des mouvements des usagers.
Lors de la présentation de mon mémoire, j'ai choisi de me focaliser sur un espace précis : un parking souterrain de résidence étudiante. Ma démarche de projet m'a permis d'ancrer mon étude de réhabilitation vers des parcours sportifs et l'idée d'activités individuelles. Cependant, je me suis rendu compte qu'il était nécessaire d'élargir cette perspective pour inclure des notions d'ambiance et d'autres imaginaires que ces lieux peuvent évoquer, tout en conservant une dimension fonctionnelle, mais sans limiter mon approche à celle-ci.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Après réflexion et échanges avec ma partenaire de projet, Bérénice Gagne, j'ai décidé de m'orienter vers la dimension collective. Ma recherche se concentre désormais sur l'aspect collectif des parkings souterrains dans les résidences étudiantes, où les étudiants jouent un rôle crucial dans notre avenir. Dans notre monde moderne, où l'accent est souvent mis sur l'individu, avec la voiture comme symbole d'indépendance et d'individualisme, cette dynamique favorise un rationalisme axé sur la productivité personnelle et les intérêts individuels, souvent au détriment des considérations collectives.
Dans l'idée d'un monde sans voiture, mon exploration cherche à comprendre comment une perspective collective des parkings souterrains pourrait créer une nouvelle ambiance et contrebalancer cet individualisme. Je perçois le parking souterrain non pas uniquement comme un espace de stationnement, mais comme un lieu au potentiel inexploité.
J'ai donc, à travers différentes expérimentations, cherché comment ses caractéristiques uniques pourraient le réhabiliter en un espace favorisant la rencontre et le partage.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
“Exploration sensorielle et étude sur l'intégration d'imaginaires alternatifs”, Expérimentation 1 :
Les expérimentations menées visaient à intégrer d’autres imaginaires associés à ces lieux et à observer leurs effets. Ces imaginaires évoquaient des images mystiques et fantastiques abordées dans mon mémoire, telles que celles rencontrées dans des livres comme "Voyage au centre de la Terre" de Jules Verne où l'univers souterrain était présenté d'une manière différente de la vision négative habituellement associée à ces lieux.
L’idée était de nous transporter vers un univers différent, de déclencher une nouvelle perception de ces espaces hostiles. L'exploitation de l'espace dans toutes ses dimensions (murs, sols, plafonds) s'est révélée particulièrement intéressante pour susciter une nouvelle habitabilité du lieu. L'expérience vécue était plutôt surprenante et troublante, mais la simple projection ne suffisait pas à nous immerger pleinement dans l'ambiance. Cela a suscité des questions critiques sur une nouvelle apparence de ces lieux et la manière de les mettre en avant. Comment finalement donner à raconter autrement la vision du souterrain ?”
Au départ, j'avais envisagé d'installer des draps dans le parking souterrain pour afficher des textures et des photos d’autres imaginaires. Cependant, je me suis rendu compte que les draps n'étaient pas vraiment nécessaires. L'important était d'exploiter l'espace et de le transformer d'une manière différente. En habillant le parking autrement, j'ai pu tester de nouvelles façons de l'utiliser et de le mettre en valeur. et comment juste le faite d’apporter un élément dans ce lieu était intrigant et questionnant.
De plus, il était curieux d'observer comment l'ajout d'un élément aussi simple pouvait altérer l'ambiance du lieu, évoquant, par exemple, l'image du drap blanc séchant, flottant au vent.
Cette transformation ici n'affectait pas uniquement l'aspect visuel, mais elle influençait également les perceptions sonores en réduisant l'écho, modifiant ainsi l'expérience globale de l'espace.
Cette intervention a renforcé l'idée, évoquée dans le mémoire, de la nécessité d'exploiter pleinement ce lieu central jusque-là inexploité et simplement perçu comme “un non lieu uniquement traversé “ ainsi que l'importance de le valoriser.
“Le Voyage du Salon dans un Lieu Hostile - Questionner la fonction Traditionnelle du lieu”, Expérimentation 2 :
Les expérimentations visaient à intégrer des éléments du quotidien pour observer leurs effets et remettre en question la fonction traditionnelle de cet espace. En transformant cet endroit en un lieu convivial, semblable à un salon, je cherchais à favoriser la communauté et la connexion entre individus, redéfinissant ainsi les frontières entre espaces quotidiens et hostiles pour en faire des lieux de rencontre et de partage.
J'ai demandé aux invités de s'asseoir et de se comporter comme s'ils étaient dans un salon quotidien, afin de créer une ambiance détendue et familière. Cependant, j'ai remarqué qu'une certaine gêne s'était installée parmi eux, manifestée par des silences prolongés, des regards fuyants et une certaine raideur dans leurs attitudes.
Je me suis alors rendu compte que le mobilier seul ne suffisait pas à instaurer le partage. Pour créer un espace propice, il manquait une “notion d’intimité" que l'on trouve dans nos espaces quotidiens. Le parking avait besoin d'une ambiance particulière. C’est donc ici qu'évolue notre problématique avec cette notion d’intimité : que devient finalement ce lieu désaffecté lorsqu’on y associe cette notion ?
Bien évidemment, l’idée de “faire un salon” dans ce lieu hostile évoque l’esthétique du squat, souvent perçu comme un lieu de contestation contre les normes établies. Par exemple, les collectifs tels que Jeudi Noir (créé en 2006) utilisent les squats pour critiquer le marché immobilier spéculatif, revendiquer le droit au logement pour tous, dénoncer la hausse des loyers et lutter contre le mal-logement. Les squats deviennent ainsi des symboles de résistance et de lutte sociale, attirant l'attention sur les inégalités en matière de logement. Les squatteurs, comme les artistes du squat du 210 rue Saint-Denis à Paris ou les tontons squatteurs à Genève, transforment ces espaces vacants en centres d'activités communautaires, culturelles et sociales, souvent en opposition aux politiques urbaines dominantes.
Toutefois, mon intention n'est pas de faire de cet espace un lieu de contestation, mais un lieu encourageant le partage, l’échange. Ce qui est intéressant dans l’idée du squat, c’est la capacité à s’approprier un espace et à le rendre habitable. Cet aspect rejoint l’idée de “faire salon” que je souhaite développer : un endroit où les jeunes peuvent venir, se poser et simplement discuter.
“Résonances invisibles : Exploration acoustique et visuelle des sons souterrains", Expérimentation 3 :
Durant plusieurs jours passés dans le parking souterrain, j'ai écouté attentivement les différents sons présents dans cet environnement. L'eau se distinguait particulièrement, que ce soit par son humidité ambiante, les résidus de sa présence stagnante, ou le murmure de son écoulement à travers les canalisations.
Je me suis alors d’abord intéressée à la manière de rendre visible ce qui ne l’est pas habituellement, comme les tuyaux, en changeant certains matériaux pour mettre en avant des mouvements invisibles comme le déplacement de l’eau.
J'ai également exploré les associations que le bruit peut évoquer à l'aide d'une maquette, que j'ai intégrée dans le contexte du parking en la fixant sur un tuyau.
En se concentrant sur les sons tamisés perceptibles lorsqu'on le met sur l'oreille, cela a permis d'évoquer l'imaginaire du bain : le sentiment d'isolement et l'atmosphère spécifique qu'il peut créer.
En réfléchissant à l'impact du son et à sa manipulation, j'ai opté pour un son étouffé, semblable à celui que l'on perçoit sous l'eau, afin de créer une sensation de sécurité et d'intimité avec notre environnement, plus apaisante. Cette approche se distingue nettement de l'écho habituel des parkings, contribuant ainsi à instaurer une ambiance plus intime et sécurisante.
Les deux exemples étudiés, le Voyage to Uchronia de Matali Crasset et la "Chambre Anéchoïque" du Laboratoire d'Astrophysique de Marseille (LAM), visent à créer une atmosphère douce, calme et personnelle en travaillant sur l'isolement acoustique. Matali Crasset s'inspire de la forme du cocon ou de l'abri, et les deux projets utilisent des matériaux comme la mousse insonorisante ou la feutrine pour créer une sensation d'intimité et de silence, en étouffant le bruit ou en le réorientant autour de nous.
À travers cette approche de recherche, impliquant des expériences telles que des installations, des dispositifs de projection et des maquettes tests dans le parking souterrain, ainsi que des références axées sur l'isolement acoustique pour créer une ambiance intime, j'ai exploré la possibilité de fusionner la lumière et le son dans un seul dispositif.
Combiner les expérimentations 2 et 3 en intégrant l'imaginaire de "faire salon" et en insonorisant l'espace à travers ce dispositif permet de proposer une expérience utilisateur plus complète, ajoutant la notion d'intimité qui faisait défaut à ce lieu.
Pour concevoir un design en milieu hostile, notamment en souterrain, dans la recherche du mémoire nous avons identifié que des éléments faisaient défaut, telles que la perception visuelle et auditive. Cet objet travaille donc à la fois sur la lumière et l'acoustique.
Pour la lumière, le choix du rouge reflète le paradoxe des espaces intérieurs et extérieurs, créant une tension. Pourquoi utiliser la lumière rouge ? En luminothérapie, certaines longueurs d'onde lumineuses sont utilisées pour le bien-être mental. Comparée à la lumière blanche ou bleue, la lumière rouge favorise le calme et le repos car elle a une longueur d'onde propice à la sécrétion de mélatonine. Cette couleur aide à la création d’une ambiance tamisée lorsqu'elle est associée à une forme de diffusion spécifique.
Pour l'acoustique, en m'appuyant sur les références antérieures et des expérimentations formelles sur “qu’est-ce qui crée l'intimité ?”, J'ai choisi une forme qui encourage à se recentrer sur soi. Inspirée par l'expérience du drap blanc et la chambre anéchoïque du LAM, j'ai cherché à atténuer le bruit sans l'éliminer complètement grâce à l'emploi de la feutrine, permettant ainsi de maintenir une connexion avec l'environnement environnant.
Ce dispositif propose donc d'aider les personnes à se sentir un peu plus en intimé dans un environnement hostile, pour les amener vers un espace dédié à la rencontre et en ouvrant ainsi de nouvelles perspectives pour ces endroits négligés.
Ce dispositif pourrait donc être utilisé pour soutenir d'autres types d'espaces similaires à ceux du souterrain. Cela permettrait d'expérimenter ce dispositif dans différents environnements avec l'assistance d'acousticiens.
"Le fait d'être rassemblées sous cette lumière rouge me rappelle les feux de camp. C'est vraiment marrant cette ambiance chaleureuse créée par la lumière rouge, on se sent plus à l'aise à l'intérieur, alors qu'au début c'est très intriguant."
"J'ai l'impression d'être un poussin" (imaginaire de la couveuse); "Quand on parlait sous la lampe, ça ne résonnait pas comme dans le souterrain."
Ouvrir des perspectives :
Ce travail contribue à redéfinir notre compréhension des espaces souterrains en montrant comment le design peut réhabiliter des environnements initialement hostiles en lieux un peu plus accueillants et propices au partage. Il invite donc à explorer de nouvelles manières d’habiter ces lieux, “comme faire salon”, et vient remettre en question les classifications traditionnelles. Il encourage également à travailler avec les caractéristiques intrinsèques des lieux tout en cherchant à en améliorer la qualité sans altérer complètement leur essence.